Bleu et marketing alimentaire : comment les couleurs modifient l’appétit

En 1960, les M&M’s, ces délicieux bonbons au chocolat enrobés d’une coque de sucre qui ne fond pas, qui existaient en marron chocolat au lait depuis une vingtaine d’années, se parent de nouvelles couleurs : rouge (brièvement retiré de la circulation puis remis en vente après de vigoureuses protestations), jaune et vert.

Le orange se joindra à la fête un peu plus tard. Pour le bleu, par contre, il faudra attendre un vote des consommateurs américains en 1995… Soit 35 ans après les premières couleurs, quand même !

Pourquoi il y a peu de bleu dans les rayons alimentaires

Parce que les couleurs chaudes donnent faim

Si j’ai décidé de commencer cet article par un bref historique des couleurs des M&M’s, c’est qu’il est assez représentatif de la relation que nous entretenons avec nos aliments et leurs couleurs.

Des tacos au poulet

Si on vous demandait de donner une couleur au mot « aliment », vous penseriez probablement à une couleur chaude : rouge, orange, jaune, marron. Coïncidence ? Ce sont aussi les principales couleurs des emballages alimentaires… Même si ce n’est pas une couleur chaude, on joindra à la liste le vert, qui prend d’assaut les rayons des supermarchés depuis quelques années.

Ces 5 couleurs sont omniprésentes dans tout ce que la nature produit de comestible, des céréales à la viande en passant par les fruits et les légumes. Point commun entre ces aliments ? Lorsqu’ils deviennent impropres à la consommation, en guise de sinistre avertissement, ils tendent à se couvrir de vilaines tâches bleuâtres… J’en ai la chair de poule rien qu’à l’écrire. Pas étonnant, du coup, que notre instinct primaire nous pousse à nous mettre à couvert (ou pas, en l’occurrence…) dès qu’on voit surgir du bleu dans notre assiette.

Parce que la nature a horreur du bleu

Une écrevisse bleue de Floride

D’ailleurs, faisons une partie de petit bac à la sauce couleur : pouvez-vous citer spontanément un objet naturel comestible qui soit bleu (en dehors de la myrtille) ?

Ca existe, mais… Voyons voir… En voici quelques uns, on verra si vous voyez le dénominateur commun : la banane bleue de Java, l’écrevisse bleue de Floride, le homard bleu de Bretagne. Alors ?

Beaucoup d’aliments bleus sont en fait des mutations génétiques rares de plantes ou d’animaux que l’on trouve habituellement dans d’autres couleurs… D’où leurs noms très descriptifs (et pas très originaux, il faut bien l’admettre).

Parce que le bleu est au-dessus des préoccupations matérielles

La couleur bleue, peut-être justement parce qu’elle est si rare dans la nature, constitue un candidat de choix pour incarner toutes sortes de concepts abstraits. C’est à cause de cette simple logique d’offre et de demande qu’on en est venus à voir dans le bleu un symbole de richesse et d’élitisme, à l’image du fameux lys royal sur fond bleu.

Du lapis-lazuli

Pour l’anecdote, avant l’invention des couleurs synthétiques, un peintre qui voulait du bleu devait faire importer d’Afghanistan du lapis-lazuli (photo ci-contre), une pierre semi-précieuse qui, du fait de sa rareté, s’achetait littéralement à prix d’or.

Autant dire qu’il fallait une très bonne raison (et un très bon mécène…) pour en mettre dans son œuvre !

D’ailleurs…

Les propriétés chromatiques du bleu le rendent naturellement propice à calmer les pulsions. Ajoutez à ça la connotation « moisissure » qu’on a déjà évoquée, et vous avez tous les ingrédients d’une couleur coupe-faim, qu’on voit apparaître régulièrement dans des programmes de régimes. Par exemple, WeightWatchers met du bleu partout sur ses documents, et répertorie les aliments peu caloriques dans des « guides bleus ».

Et, incidemment, les régions du monde qui sont peuplées de petits mangeurs centenaires, comme Okinawa, sont appelées « zones bleues ».

Et si on renversait les codes ?

Des emballages bleus pour repenser la nourriture

Blue Food Company ou Blue Apron, pour ne citer qu’eux, promeuvent une alimentation différente, plus qualitative, plus « lifestyle ». Ils sont tellement fiers de « leur » couleur qu’ils la mettent jusque dans leur nom ! En même temps, il faut bien avouer que ça a plus de gueule que « Entreprise alimentaire rouge » ou « Tablier Marron »…

Le site de Blue Apron

Même sans aller jusqu’à en faire sa couleur dominante, une entreprise alimentaire peut utiliser le bleu par touches sur ses packagings pour faire passer un message : fraîcheur, santé, compteur de calories… Les entreprises aiment particulièrement le bleu pour mettre en avant leurs gammes de produits « light ».

Notez toutefois que ce qui est vrai pour les emballages ne l’est pas pour les aliments eux-mêmes. On accepte plutôt bien les emballages alimentaires bleus, mais beaucoup moins les produits bleus, ne serait-ce qu’à cause de la méfiance suscitée par la toxicité des additifs.

Des exceptions à la règle

Le site de Blue Circle Foods

Certains types de produits se prêtent particulièrement bien au jeu d’un marketing tout en bleu.

C’est notamment le cas des produits de la mer (voyez le site Blue Circle Food, en capture d’écran ci-dessus, pour un exemple de bonne utilisation du bleu) et des produits laitiers (Danone…).

Dans le premier cas, à titre exceptionnel, le bleu est en premier lieu le bleu de l’océan, donc de la nature. C’est l’équivalent direct du vert ou du marron pour les produits terrestres.

Dans le second cas, on peut voir le bleu comme un substitut sémantiquement neutre au blanc, visuellement peu vendeur. C’est par du bleu que l’on reconnaît les yaourts natures de Danone : c’est un bleu qui, précisément parce qu’il ne renvoie pas à grand-chose de comestible (surtout lorsqu’il est clair et froid, à l’opposé des baies), attire l’œil sans rien dire sur le goût lui-même.

Enfin, un fait plutôt amusant : si les aliments bleus coupent l’appétit, les boissons bleues, en revanche, donnent soif !

Vers une mode du foodporn bleu ?

Dans mon précédent article sur la couleur de l’année 2021, je vous disais que Pantone avait choisi le Classic Blue pour représenter 2020. Cela a donné lieu à quelques initiatives créatives en matière de boissons. Ainsi ce bar new-yorkais, l’American Whiskey, qui, pour l’occasion, avait élaboré un cocktail de cette couleur. Le secret ? Une base de gin et de feuilles de thé naturellement bleues (le thé de pois bleu, pour les connaisseurs).

Et si l’on en croit Charles Spence, professeur de psychologie expérimentale à Oxford, le caractère hautement « instagrammable » des aliments bleus serait en train de donner un coup de boost à la popularité des aliments (naturellement) bleus… Amateurs de foodporn, à vos fourneaux !

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