Graphiste pro VS flyer moche: et si on revoyait nos ambitions à la baisse?

Graphiste pro VS flyers moches: et si, pour une fois, on essayait de tirer des leçons des mauvais visuels sans (trop) se moquer?

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graphiste pro
graphiste pro
graphiste pro

Bonjour. Je suis graphiste pro et j’adore me faire du mal en allant sur le Tumblr Soixante millions de graphistes. (tout va bien dans ma vie 👍)

Sérieusement, je te mets au défi de faire pire que ÇA:

flyer moche

Dans un premier temps, je vais m’autoriser un peu de persiflage.

(à peu près toutes les erreurs de graphisme que tu puisses commettre sont dans ce flyer, ce serait dommage de s’en priver)

Dans un second temps, je ferai de mon mieux pour endosser la robe de l’avocate du diable. 🧛‍♀️ (⬅ oui, c’est exactement comme ça que je m’imagine l’avocate du diable)

Une graphiste pro fait l’autopsie d’un visuel raté

Je vais pas commencer à te faire la liste exhaustive des défauts de ce flyer (de toute façon, tout est déjà dans la checklist OMG! *wink* *wink*).

Ce qui m’intéresserait, par contre, c’est de revenir sur la démarche ayant rendue possible de ce massacre pour que tu comprennes le problème de fond.

J’infiltre la tête d’un(e) graphiste amateur(ice)

Déjà, mettons-nous 2 minutes à la place de l’auteur(e) de ce chef-d’oeuvre.

Tu décides de créer ton flyer sur Word (ça commence mal 🚩).

Tu n’as aucune notion de graphisme, mais tu es plein(e) de bonne volonté. Tu possèdes également un certain goût pour la création, ainsi qu’un accès illimité à la banque d’images préférée des amateur(ice)s: Google Images. (arrêtez ça, les enfants, c’est carrément illégal, ce que vous faites. Vous voulez des images gratuites ET libres de droit? Nadine de Zenu Académie a fait une compil’ des meilleurs bons plans rien que pour vous.)

Que vas-tu faire?

Pour la science, je vais tenter une reconstitution.

On te dit qu’il faut promouvoir une sorte d’évènement sportif… Ou en tout cas, une activité en rapport avec le foot. La vraie nature du truc est pas claire, ce qui est déjà un problème en soi.

Alors tu commences par mettre une photo de fond en rapport avec le thème. So far so good.

Puis, là-dessus, tu viens greffer le texte.

Mais le texte ne ressort pas assez, et ne fait pas très festif. Comment faire?

Microsoft Word Art, évidemment. 😭

Le début de la fin

Tu mets du rouge, parce que tu ressens intuitivement que c’est une couleur excitante.

Tu mets de la 3D et des effets de distortion, parce que ça fait ressortir le texte. 😵

Une fois cela fait, tu trouves que ça fait encore vide.

Alors, partout où tu peux, tu rajoutes des éléments graphiques selon ton inspiration. Dans un premier temps, tu fais en sorte que ça soit parfaitement dans le thème. Mais au bout d’un moment, tes idées s’épuisent. Du coup, tu en viens à caser une photo de… dentifrice, sans doute parce que sa couleur rappelle vaguement le drapeau français.

Eeeet… TADAH!

Félicitations: tu es officiellement l’auteur(e) d’un flyer inefficace. (big up à mon pote Google, ça c’est du mot-clé qui a du potentiel)

Le train et la mouche

Pourquoi?

Parce que, pour reprendre à ma sauce une métaphore de LinksTheSun:

Tu t’es baladé(e) sur les murs comme une mouche, alors que tu aurais dû foncer comme un train.

🚅 Le train fait ça:

Point de départ ➡ ligne droite ➡ point d’arrivée

C’est clair, net, on fait pas 10 000 détours inutiles. Normalement, si la SNCF est dans un bon jour, on ne fait pas plus d’arrêts que nécessaires, et tu arrives à ta destination au moment prévu.

🦟 La mouche fait ça:

Point random N°1 sur un mur ➡ bzzzzzzz ➡ point random N°2 ➡ bzzzzzzz ➡ point random N°3 ➡ et ainsi de suite jusqu’à ce que ton chat la punaise sur le papier peint, mettant un terme à sa triste vie.

La mouche ne va nulle part. Elle n’a pas vraiment de point de départ, et certainement aucun point d’arrivée. Sa trajectoire n’a aucun sens.

Cette mouche, c’est l’équivalent de parler pour ne rien dire:

Tu n’as pas de message à transmettre, alors tu y vas au feeling, et tu remplis les blancs comme ça te chante.

Ce qui sépare la/le graphiste pro de l’amateur(ice)

La hiérarchisation de l’information

Je me souviens qu’à l’école, les profs nous disaient de faire attention à ce qu’on surlignait. Parce que surligner tout un texte, ça revient à ne pas le surligner du tout (sauf qu’en plus, ça pique les yeux 😣).

Si tu mets tout en exergue, alors plus rien ne ressort.

Au fond, c’est ça, le problème de ce flyer (et, de manière générale, de beaucoup de visuels ratés):

Chaque mot rivalise avec son voisin pour capter notre attention.

Résultat:

Une surenchère de bruit.

Et le sens se perd dans le brouhaha ambiant.

A l’arrivée, tu ne communiques rien. Et, de même que personne n’en n’a rien à foutre de la vie des mouches, on se contentera de passer notre chemin.

Où vas-tu?

Tes visuels, et les message qu’ils portent, doivent être des trains:

La majorité des gens n’en n’auront pas besoin.

Mais il y a des gens qui voudront réellement se rendre là où tu veux les emmener.

Ces gens-là sont tes clients idéaux. Ton entreprise existe pour leur apporter quelque chose qui leur fait défaut.

Sacrifier la lisibilité de tes visuels par flemme ou manque de connaissance, c’est faillir à leur communiquer les informations dont ils ont besoin. On pourrait presque voir ça à de la non-assistance à personne en danger (j’ai dit presque).

Garde le freestyle pour tes expérimentations artistiques. Tes passagers comptent sur toi! 🦸‍♀️

Graphiste pro et graphiste amateur(ice): deux façons de penser différentes

Maintenant qu’on s’est bien foutu de la gueule des graphistes amateur(ice)s, il est temps de remettre les points sur les i.

Je fais ma fière alors qu’en vrai, moi aussi je suis passée par là. Maintenant que je suis graphiste freelance, c’est facile pour moi de snober les amateur(ice)s. Mais au fond, est-ce que mon travail est vraiment supérieur au leur? 😕

Il y a quelque temps, j’ai déniché un document hyper intéressant sur la question:

Un mémoire de fin d’études consacré aux expérimentations des graphistes non-professionnel(le)s[1]Tout Le Monde Est Graphiste – Le Livre. by Yoann Bertrandy – Issuu. https://issuu.com/yoannbertrandy/docs/ttlmonde-est-graphiste. Consulté le 7 juillet 2022..

L’auteur a interrogé 5 créateur(ice)s de visuels qui feraient frémir plus d’un(e) graphiste freelance. J’ai lu leurs témoignages, et je les ai recoupés pour en dégager des points communs. Voici ce que j’en retire:

🧐 Une approche empirique de l’information

Plutôt que de raisonner en termes de hiérarchie, les graphistes amateur(ice)s ont tendance à opter pour des oppositions binaires subjectives.

Par exemple: information sérieuse et bien lisible VS information « spontanée », qu’on aurait voulu exprimer à l’oral.

Cette façon de penser leur message s’étend aussi à leurs choix graphiques.

Par exemple, il semble y avoir un consensus général autour de l’idée que les infos les plus informelles et inattendues doivent être mises en diagonale ou en 3D, et qu’il faut toucher le moins possible aux autres.

🧐 Leur connaissance des choix à leur disposition est limitée

C’est plutôt logique, mais le fait est que cumuler les choix à portée de clic est le moyen le plus sûr de dégager un parfum d’amateurisme… peut-être justement parce que les graphistes pros sont mieux armé(e)s pour aller plonger les mains dans le cambouis.

🧐 Le manque d’entraînement du regard

Le grand public a tendance à penser les éléments graphiques par famille plutôt que pour leurs qualités individuelles. Il verra par exemple la rondeur des caractères de la police Comic sans, et la rangera automatiquement dans la famille des polices « mignonnes » et « sympathiques »… tout en négligeant les connotations négatives attachées à cette police spécifique.

Autre exemple frappant: la perception « caricaturale » des couleurs. 🎨

Si un(e) graphiste non-pro veut du rouge, iel choisira presque toujours un rouge bien franc, du style rouge pompier. Un(e) pro, en revanche, se souviendra que l’intérêt d’une couleur ne réside pas uniquement dans la couleur en elle-même, mais aussi (et surtout) dans son contexte d’utilisation.

Iel n’oubliera donc pas l’importance des couleurs désaturées, et saura les « assaisonner » correctement!

🧐 Une peur viscérale du vide

Ce point là, je ne le tiens pas tant des interviews de Yoann Bertrandy que de ma propre expérience:

Les amateur(ice)s ont peur des espaces vides.

Mais genre, autant que si c’était des portails qui donnaient directement sur l’Enfer. 🔥

Pas convaincu(e)? Vas voir Soixante millions de graphiste si c’est pas déjà fait:

Tu verras que la quasi totalité des visuels qui y sont épinglés souffrent d’une surcharge pondérale d’éléments graphiques.

Alors certes, il y a souvent beaucoup d’infos à caser.

Mais si tu veux donner une impression d’espace, peu importe combien tu as d’éléments à placer, il y a toujours moyen de faire de la place. Et si VRAIMENT tu n’y arrives pas, c’est qu’il y a sans doute un problème avec ton message de départ.

Les graphistes pros de la k-pop arrivent à caser des groupes de 5 à 9 personnes sur des petites pochettes carrées sans aspirer tout l’air autour.

Tu me feras pas croire que t’as pas assez de place sur ton affiche A4 pour annoncer le festival de la pétanque de dimanche prochain…

🧐 Un plaisir de créer en roue libre

Il me semble que les amateur(ice)s ont un seuil de tolérance à l’illisibilité plus élevé… En tout cas, quand iels sont porté(e)s par le démon de la création.

Iels ne voient pas forcément de problème à utiliser une police script pour les paragraphes, et aiment se lâcher sur les titres avec des typos sophistiquées. L’impératif de visibilité leur sert de prétexte pour donner libre court à leur créativité.

Le côté purement artistique du travail a ainsi tendance à prendre le pas sur les impératifs de communication. Malheureusement, en graphisme, on ne peut pas toujours se laisser à aller à la liberté grisante de la création!

Un(e) graphiste pro a-t-iel toujours raison?

Dans le document que j’ai cité, une des personnes interrogées, un non-graphiste qui réalise des flyers et des affiches pour des groupes de reggae, a rapporté une expérience désagréable avec un graphiste pro.

Le principal point de désaccord était le suivant:

Le graphiste voulait imposer sa vision du beau. Mais le graphiste amateur savait que ses façons de faire, bien que peut-être moins élégantes dans la forme, avaient fait leurs preuves auprès de la clientèle visée.

Personnellement, je trouve cette anecdote très instructive.

Un(e) graphiste freelance se réfère presque par réflexe à des règles qu’iel a acquis par l’apprentissage et l’expérience. Fournir un travail qu’on ne trouve pas beau selon nos propres critères constitue un véritable crève-cœur.

Pourtant, il faut bien avouer que nos codes ne sont pas aussi intemporels ou universels qu’on ne voudrait le croireEt si, parfois, la/le graphiste pro n’était tout simplement pas la/le mieux placé(e) pour faire le travail?

D’ailleurs, fait intéressant:

Parmi les motivations évoquées pour ne pas faire appel à un(e) graphiste pro, certaines personnes revendiquent la volonté de ne pas tomber dans des esthétiques trop professionnelles. En cause: un sentiment de manque de chaleur humaine et de proximité

Faire appel à un(e) graphiste pro, ça a du sens… mais peut-être pas pour tout le monde

Il est vrai que, du point de vue d’un(e) graphiste pro, les règles sont censées être plus ou moins objectives. Nous voyons dans le professionnalisme du résultat une forme de neutralité désirable, synonyme de perfection, alors que du point de vue d’un(e) amateur(ice), ce n’est pas si neutre que ça.

À l’heure où tout le monde peut s’improviser graphiste grâce à des outils comme Canva*, le fait est que la case « graphiste pro » n’est plus un passage obligé, mais bel et bien une simple option.

Dans ces conditions, le simple fait de déléguer la réalisation d’un visuel à un(e) graphiste freelance ou une agence de communication, c’est déjà un choix en soi. Ce choix se reflétera forcément dans le produit fini, et sera perçu comme tel par le public.

Un visuel d’aspect amateur pourrait-il être pertinent dans le cadre de certaines stratégies de communication? Il me semble que la question mérite d’être posée.

La pratique amateure aussi a de la valeur

Les personnes interrogées avouent ressentir une certaine fierté vis-à-vis de ce qu’elles créent. Pas parce qu’elles ont l’impression de faire aussi bien qu’un(e) graphiste pro, mais tout simplement parce qu’elles ont mis du cœur à l’ouvrage.

Toutes évoquent le plaisir de pouvoir mettre leur patte, aussi limitée soit-elle, dans un visuel, et aiment avoir l’impression qu’il est différent de ceux d’éventuelles entreprises concurrentes. C’est le fameux syndrome Ikéa: tout ce que tu assembles / personnalises / crées toi-même prend automatiquement une valeur supplémentaire à tes yeux.

Il ne faut pas oublier que le besoin de s’exprimer est profondément humain… et, à ce titre, le mépris récurrent des graphistes freelance (entre autres) pour les pratiques amatrices me semble mortifère.

De la même manière qu’il est malvenu de se moquer d’une personne qui apprend une langue étrangère, il me semble que nous devrions nous préoccuper d’aider les gens à mieux communiquer, pas de les blâmer pour leurs maladresses.

Comment les graphistes pros peuvent-iels aider les graphistes amateur(ice)s à s’épanouir?

De manière générale, les graphistes amateur(ice)s s’accrochent beaucoup au mot, dont la production leur est plus familière, et semblent mal à l’aise dès qu’il s’agit de manipuler du visuel pur. Iels aiment avoir des éléments graphiques prêts à l’emploi, qu’iels n’ont plus qu’à assembler à leur convenance.

À ce titre, il me paraît contre-productif de leur imposer des logiciels aussi complexes que Photoshop. Pour ma part, je préfère recommander Canva*. Ce genre d’application offre moins d’options, certes, mais comme celles qui existent sont faciles d’accès, à l’arrivée, un(e) profane a davantage de pouvoir entre ses mains.

⚠ Attention:

Que cela ne te serve pas d’excuse pour faire un flyer aussi sous-optimisé que celui que j’ai analysé plus tôt, hein! ╮(╯▽╰)╭

Ce n’est pas qu’une question d’esthétique:

L’important, c’est surtout de transmettre les bons messages aux bonnes personnes. Chose qui n’est possible qu’avec un visuel où chaque élément est à sa place, et travaille en harmonie avec les autres.

Apprendre aux entreprises à optimiser leurs supports de communication visuelle faits-maison, c’est mon ikigai à moi. Si tu veux un petit coup de pouce régulier (6 fois par mois) et gratuit, abonne-toi à mon webzine par email:

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Bibliographie

Bibliographie
1 Tout Le Monde Est Graphiste – Le Livre. by Yoann Bertrandy – Issuu. https://issuu.com/yoannbertrandy/docs/ttlmonde-est-graphiste. Consulté le 7 juillet 2022.
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