La psychologie des couleurs à l’épreuve des mots

Une approche linguistique pragmatique de la psychologie des couleurs

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la psychologie des couleurs à l'épreuve des mots
la psychologie des couleurs à l'épreuve des mots
la psychologie des couleurs à l'épreuve des mots

La psychologie des couleurs et moi, on a une relation compliquée. 😅

D’un côté, dans le débat multiséculaire ligne VS couleur, j’ai un clair parti pris pour cette dernière. 🌈Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été ultra sensible aux variations lumineuses. (Qui sait? Je suis peut-être une tétrachromate qui s’ignore)

D’un autre côté… Pour dire les choses clairement, j’ai un faible niveau de tolérance au bullsh!t. Je me suis pas privée de dire tout le mal que je pensais de Lilou Macé et de son livre des couleurs sur Goodreads, et je refuserai de croire en la chromothérapie tant qu’on ne m’aura pas donné de preuves que c’est legit. ᕦ(ò_óˇ)ᕤ Et dans la même idée, je suis toujours relativement agacée de voir le traitement réservé à la psychologie des couleurs dans les magazines lifestyle. (¬_¬)

A vrai dire, rien que de voir les magazines lifestyle s’emparer du sujet, suffit déjà à me faire lever les yeux au ciel. La psychologie des couleurs n’a rien de magique, ou de spirituel, ou de je ne sais quoi. Elle n’a rien à faire dans les rubriques « astrologie » ou « développement personnel ». (Et d’ailleurs, pendant qu’on y est: sa fonction n’est pas non plus de t’imposer les couleurs de ton logo.)

Il est grand temps que l’on remette les pendules à l’heure…

Que peut-on (vraiment) affirmer au sujet des couleurs ??

D’où viennent les significations des couleurs?

Les scientifiques s’accordent à dire que les effets physiologiques de la couleur sur le corps sont extrêmement limités.

Cela dit, le poids de la culture et de l’expérience personnelle sur notre perception de la couleur est indéniable. Après tout, ce n’est sans doute pas une coïncidence si on est aussi nombreux.ses à associer le rouge à l’amour, ou le jaune à la joie de vivre…

Pour ce qui est de l’expérience personnelle, on ne peut, par définition, faire aucune généralisation ou prédiction. La perception des couleurs est quelque chose de fondamentalement subjectif, et il faut l’accepter.

Par contre, connaître les connotations culturelles permet d’établir une sorte de dictionnaire des couleurs, aussi imparfait soit-il.

L‘importance des mots dans la psychologie des couleurs

Je n’emploie pas le mot « dictionnaire » par hasard.

Les couleurs résultant de l’interprétation du cerveau, sa réalité est fondamentalement subjective. 🧐

La psychologie des couleurs apparaît donc comme une tentative de lui donner un semblant d’objectivité au moyen des mots. Il s’agit de mettre des noms sur des phénomènes fugaces (la sensation colorée de la lumière qui traverse l’oeil) pour tenter de les figer. Un peu comme si on prenait un cliché d’un oiseau avant qu’il ne s’envole… 🦅

Ainsi, questionner la psychologie des couleurs, ça revient à questionner notre vocabulaire. Sauf que si on se penche un peu sur la question… toutes sortes de nouveaux problèmes apparaissent. ヽ(≧□≦)ノ

Les Japonais ont 2 mots pour désigner la couleur verte: aoi et midori. Les connotations différent sensiblement. D’un côté, on trouve le mot aoi, qui peut désigner au choix une teinte de vert ou de bleu. De l’autre, on a le mot midori, qui se réfère exclusivement au vert. Dans l’imaginaire collectif japonais, ce dernier évoque irrésistiblement des images de forêts luxuriantes. 🌲

Là où nous voyons une unique réalité dans les longueurs d’ondes assimilées au vert, les Japonais en voient deux.

Même chose pour le bleu avec les Russes ou les Grecs, qui font la distinction entre le clair et le foncé.

Et que dire des cultures dans lesquelles le mot « couleur » lui-même n’existe pas[1]Casaponsa, Aina, et Panos Athanasopoulos. « The Way You See Colour Depends on What Language You Speak ». The Conversation, … Continue reading?? 🤯

Le langage détermine la perception des couleurs

Penses-y :

Avant de pouvoir dire que le rouge est la couleur de telle ou telle émotion ou concept, il faut bien être au clair avec ce qu’est le rouge… Si on ne nous avait jamais appris qu’une telle catégorie existait, aurions nous conscience de son existence? 🤔

Fun fact: il existe un dialecte écossais qui possède 421 mots pour décrire la neige, dont, entre autres, sa couleur.

Personnellement, 421 mots pour décrire de la glace fondue qui descend me pourrir la vie une fois tous les 10 ans (j’habite sur la Côte d’Opale), je trouve ça légèrement abusé. ಠಿ_ಠ

Par conséquent, si je devais apprendre le dialecte en question, je me retrouverais face à un problème de taille:

Mon incapacité à percevoir dans le monde réel toutes les variations justifiant l’amplitude du vocabulaire…

Et par extension, à me servir du dit vocabulaire.

Dans ce cas de figure, le décalage de perception induit par la langue maternelle devient apparent.

Apprendre à parler une langue, c’est d’abord apprendre à voir le monde autrement. Quand on y pense, ça revient presque à acquérir des super-pouvoirs de perception, non? (⊙o⊙)

(L’idée a d’ailleurs été brillamment traitée dans le film Premier Contact, si le sujet t’intéresse 👽)

La psychologie des couleurs est une forme de traduction

En fait, on peut voir la psychologie des couleurs comme une forme de traduction. La couleur est la langue source. Le texte est la langue cible.

Et comme pour toute traduction, il y a… trahison. ヾ(≧へ≦)〃

Un dictionnaire bilingue empile les synonymes dans la langue d’arrivée. Pourquoi? Pour essayer de cerner l’étendue du sens d’un mot étranger, qui ne coïncide pas avec ses équivalents des autres langues.

La psychologie des couleurs fait pareil. Logique: c’est pas comme si tu pouvais exprimer l’essence du rouge ou du bleu avec un seul mot… D’où, parfois, une impression de fourre-tout aléatoire aux relents d’effet Barnum.

Il faut être conscient(e) que ce ne sera jamais qu’un pis-aller.

Expliquer les couleurs, ça revient à expliquer ce que ça fait d’être une chauve-souris: c’est pas trop possible.

Les significations en psychologie des couleurs viennent de notre rapport à la nature

Retour aux sources

Nos attentes en matière de sens ne viennent jamais de nulle part. Nous forgeons nos attentes et nos idées préconçues sur la base d’expériences répétées. Or, quoi de plus répétée et universellement partagée que notre expérience de la nature?

Certes, les progrès technologiques sont passés par là.

Il n’empêche:

Les associations de couleurs de la nature sont profondément gravées dans l’inconscient collectif.

Tout le monde a intégré l’idée que les plantes étaient essentiellement vertes. Ou que le soleil produisait une lumière jaunâtre. Ou encore, que le ciel était bleu. La nature nous fournit une base de sens, un peu comme un proto-langage que l’humanité entière partagerait. 🤓

La création du sens en psychologie des couleurs

A partir de la nature et de ses couleurs, des associations d’idées se forment spontanément. Par la suite, il est facile de les étendre à des concepts plus abstraits. 🧠

Un processus similaire est à l’oeuvre dans les langues « classiques », basées sur les mots.

Par exemple, on parle de déplacement dans le temps en empruntant les vocables du déplacement dans l’espace[2]Chesneaux, Jean. « La tripartition du champ temporel comme fait de culture ». Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, no 3, 3, juin 2005. journals.openedition.org, … Continue reading[3]Boroditsky, Lera. « La langue façonne la pensée ». Pourlascience.fr, Pour la Science, https://www.pourlascience.fr/sd/linguistique/la-langue-faconne-la-pensee-6479.php. Consulté le 28 … Continue reading.

Ou, pour en revenir à nos couleurs:

Si le rouge est la couleur du sang, le glissement de sens vers l’idée de violence (le sang versé) est vite fait. 🩸

Voyons donc à présent quels champs lexicaux on peut utiliser pour tenter de cerner les couleurs…

La signification de la couleur rouge : le désir, entre agression et passion

la signification de la couleur rouge

Dans la nature, le rouge renvoie en premier lieu à la chair, aux entrailles et au consommable. C’est la couleur des lèvres, des parties intimes, du sang, de la viande, et des fruits. 🥩🍖🥓🍒🍓

C’est aussi la couleur d’un désir inhérent à la vie (avec l’idée de préciosité et de beauté qui en découle), mais qui peut basculer dans l’horreur à tout moment : le sang qui cesse de représenter la vie lorsqu’il quitte le corps, le sexe, les fruits empoisonnés.

La couleur rouge nous renvoie à une anxiété paradoxale: celle de ne pas accéder à l’objet de son désir… et en même temps, celle d’y accéder, mais au prix d’un sacrifice douloureux.

D’ailleurs, fait intéressant:

Nos cultures occidentales et leurs mythes font la part belle à 3 couleurs en particulier: noir, blanc et rouge.[4]« Blanche-Neige – Noir, blanc, rouge ». Wikipédia, 21 mars 2022. Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Blanche-Neige#Noir,_blanc,_rouge.[5]LA SYMBOLIQUE – LA TRICHROMIE ANCESTRALE. https://www.enluminure-peinture.fr/techniques/la-symbolique/category/98-la-trichromie-ancestrale. Consulté le 28 mars 2022.

Dans le cadre de cette trichromie symbolique, le blanc et le noir incarnent deux extrêmes :

D’un côté, la pureté et l’innocence de l’enfant nouveau-né qui découvre la lumière du jour pour la première fois. 👼

De l’autre, la mort, les ténèbres et l’inconnu qui nous attendent à la fin de notre vie. 🧛‍♀️ (en y réfléchissant, je me demande si ce choix d’émoji est vraiment le plus approprié…)

Entre les deux se trouve donc le rouge, couleur de la vie mais aussi de ses pulsions. Pulsions qui peuvent conduire à une mort prématurée (pense à la pomme de Blanche-Neige)… 🍎

Finalement, on peut dire que c’est un peu la couleur de l’entropie. Elle est le maillon entre l’éros (ou désir de création) et le thanatos (ou désir de destruction). Indirectement, elle nous rappelle que l’un ne va pas sans l’autre[6]« Thanatos contre Eros ». Le Temps, 7 avril 2007. www.letemps.ch, https://www.letemps.ch/culture/thanatos-contre-eros..

La signification de la couleur orange : l’extraversion, entre soin des apparences et plaisir sensoriel

la signification de la couleur orange

Comme le souligne Eva Heller dans son livre Psychologie de la couleur: effets et symboliques, la couleur orange est particulièrement bien représentée dans les aliments comestibles (fruits, légumes, fromages, épices…)… sans oublier les flammes qui nous permettent de griller nos merguez et nos chamallows. 🍤🥕🍠🍑🔥

Le orange est la couleur appétente par excellence. Elle nous suit dans nos repas et nos fêtes de famille au coin du feu (lui aussi orange!).

Par association d’idées, c’est une couleur qu’on associe volontiers au divertissement et aux plaisirs sensoriels.

Dans un autre registre, beaucoup d’animaux et de plantes arborent la couleur orange:

Soit pour attirer l’attention d’un potentiel partenaire sexuel, soit pour impressionner un prédateur.

Dans tous les cas, c’est une couleur exubérante dont la raison d’être est de sortir du lot. Il est donc logique de la retrouver régulièrement dans des contextes où une information importante doit être transmise instantanément. Dans des pictogrammes ou sur des panneaux routiers, par exemple.

Enfin, le orange s’impose comme la couleur de l’automne et de la lumière de fin de journée. 🍁🌇

Ces deux périodes marquent chacune un chant du cygne de la nature avant l’arrivée de l’hiver et des ténèbres. La nature offre ses derniers fruits avant d’entamer la préparation du prochain cycle. On retrouve d’ailleurs cette idée dans la culture autour d’Halloween, période de célébrations mêlant le orange de la fête et le noir de la mort. 🎃

La signification de la couleur jaune : carpe diem, entre dysfonctionnement organique et joie de vivre

la signification de la couleur jaune

Comme toutes les couleurs chaudes, le jaune se retrouve affecté à un grand nombre d’espèces animales et végétales. Parce qu’il est la couleur de l’or et de la lumière du soleil, le jaune apparaît chatoyant, accueillant et précieux. 🛕🌞🌟

Particularité intéressante de cette couleur: on ne peut pas la foncer sans la transformer en une autre couleur. Le jaune est clair, limite blanc, ou il n’est pas. Soit on l’accepte tel qu’il est, soit on le rejette.

Si le jaune était un objet, ce serait une photo Polaroid: un moment éphémère immortalisé dans toute sa beauté imparfaite.

Malheureusement, la couleur or, en faisant secession, a aspiré au passage pas mal des connotations positives du jaune « ordinaire »[7]Calvet, Catherine. « Michel Pastoureau : «Le jaune est la couleur des trompeurs mais aussi des trompés» ». Libération, … Continue reading. Ainsi, le jaune est aujourd’hui l’une des couleurs les plus mal-aimées et les plus porteuses de connotations négatives. ⚡

Sa proximité avec le blanc en fait une couleur lumineuse, certes, mais surtout une couleur de « pureté dégradée ». Dans ses variations les plus pâles, on la retrouve d’ailleurs souvent sous l’appelation somme toute assez ingrate de « blanc cassé ».

Une surface blanche exposée trop longtemps au soleil, comme une feuille de papier ou un rideau, finira inéluctablement par jaunir… Se récupérant au passage un teint vieilli pas forcément du plus bel effet. 😒📜

D’ailleurs, dans la nature, le jaune fait office de couleur de transition entre l’été avec ses champs de blé écrasés de soleil et l’automne avec ses feuilles d’arbres vieillissantes.

Plus trivialement, sa présence dans toutes sortes de fluides et matières corporelles assimilées à des déchets (urine, bile, pus, cérumen…) la rend indésirable, voire douteuse.

Serait-ce à cause de cette connotation de dysfonctionnement et de déchéance que l’Histoire l’a érigée au rang de « couleur des parias »[8]« Le jaune, histoire d’une couleur déchue ». France Culture, 4 décembre 2018, https://www.franceculture.fr/histoire/le-jaune-histoire-dune-couleur-dechue.? 🤔

La signification de la couleur verte : l’ordre naturel des choses, entre malchance et équilibre

Signification de la couleur verte

LA couleur de la nature, notamment des plantes. 🌲🌳🌴🌵

C’est peut-être la couleur dont le sens est le plus marqué, en tout cas pour ce qui est des couleurs en marketing :

Le vert, c’est l’écologie et les véganes. 🥗

Mais si on creuse un peu, sous la surface, on peut y trouver un sens plus profond.

Dans l’imaginaire collectif occidental, la nature, c’est en premier lieu un espace imaginaire empreint de nostalgie et de bienveillance.

La mythologie grecque a inventé le concept d’Age d’Or, une époque bénie où l’Homme se serait baladé tout nu dans la nature. La Bible a inventé la Genèse, une époque où… ben, là encore, l’Homme se serait baladé tout nu dans la nature. Nude is the ancient black.

Rousseau a inventé l’écologie avant l’heure, arguant qu’en rompant nos liens à la terre, on s’est condamné(e)s à l’enfer.

Et toutes les images illustrant ces théories sont dominées par une même couleur: le vert.

Le vert est la couleur du retour aux sources, à une vie naturelle et authentique dans un paradis perdu. La vie que Mère Nature avait imaginée pour nous avant qu’on ne lui pisse dessus, en somme.

D’ailleurs, puisqu’on est sur le sujet de la maternité:

Les bourgeons et les jeunes pousses sont souvent vert clair, ce qui fait de ce dernier un symbole de croissance, de l’enfance et d’immaturité. 🌱

Et de même que l’idée de l’arbre / plante arrivée à maturation est contenue dans ces petites choses fragiles, on en est venus à voir dans la couleur verte un symbole de destinée.

Chance ou malchance? La distinction importe peu. Ce qui compte, c’est l’idée d’être sur le chemin de la réalisation. Ce qui doit arriver arrivera. (︶^︶)

Cela dit, chaque couleur a sa part d’ombre. Le vert ne fait pas exception, même si, pour le coup, la faute ne repose pas tant sur la nature que sur… l’activité humaine.

Il faut savoir que le vert a été pendant des siècles compliqué à produire et manipuler, que ce soit pour la teinture ou la peinture.

Le résultat? Des siècles de teintures fades et/ou structurellement instables auxquels ont succédé plus d’un siècle d’expérimentations mortelles[9]« L’histoire macabre du vert à base d’arsenic ». Amusidora, 21 mai 2020, https://www.amusidora.fr/histoire-couleur-verte-et-arsenic/. avant qu’on ne trouve enfin des solutions acceptables. 💀

D’ailleurs, pour la petite anecdote, il semble que les expérimentations à base de pigments toxiques réalisées au cours de l’Histoire soient responsables d’un certain nombre de morts dans le milieu du théâtre européen, ce qui expliquerait son dégoût solidement ancré pour cette couleur[10]Inter, France. Pourquoi le vert est-il tabou sur les scènes de théâtre ? 22 mars 2017, https://www.franceinter.fr/culture/pourquoi-le-vert-est-tabou-sur-les-scenes-des-theatres..

La signification de la couleur bleue : le détachement, entre passivité et intellect

Signification de la couleur bleue

On a coutume de dire que le bleu est la couleur la plus rare dans la nature. Mais il suffit de lever les yeux au ciel (ou de regarder la Terre depuis l’espace 🌍) pour se rendre compte que c’est faux. (Du moins, à condition que tu ne vives pas dans l’hémisphère nord de la France, bien sûr)

Entre le ciel, la mer et la perspective atmosphérique, le bleu est littéralement partout autour de nous… 🌅⛲🌊

…même s’il est vrai qu’il ne se laisse pas facilement toucher (et que les pigments bleus d’origine naturelle coûtent la peau des fesses). Sur le plan purement matériel, effectivement, le bleu à l’état naturel est rarissime.

Et c’est peut-être cette particularité qui en fait une couleur si désirable. Partout où l’on demande, le bleu ressort comme étant la couleur préférée des gens[11]Besnard, Jacques. « Comment le bleu est devenu la couleur préférée des Occidentaux? » La Libre.be, … Continue reading, peut-être à cause de sa rareté effective et des connotations positives associées au ciel (élévation spirituelle, prise de recul…).

C’est l’une des couleurs les plus abstraites qui soit (même si, dans l’absolu, toutes les couleurs sont abstraites). On pourrait la qualifier « d’intellectuelle », par opposition à la terre et aux contraintes bassement matérielles. D’ailleurs, à l’exact opposé du orange, qui se trouve être sa couleur complémentaire, le bleu coupe l’appétit.

Le bleu se présente comme un candidat sérieux au titre de « couleur officielle de l’intelligence humaine » (si tant est qu’il y ait un jour un concours de ce genre).

La signification de la couleur violette : l’extraordinaire, entre perte de repères et spiritualité

Signification de la couleur violette

Bien plus encore que le bleu, le violet apparaît comme une anomalie dans la nature. On le trouve en ornement sur les fleurs ainsi que sur certains animaux. Oh, et dans les cieux crépusculaires, aussi. (J’ai pas trouvé d’émoji violet satisfaisant pour illustrer cette section, donc tiens, prends ce symbole phallique -> 🍆 et cette plante grimpante à laquelle je dois mon nom de famille -> 🍇)

Son apparition sur des choses matérielles palpables relève de l’ordre de l’anecdote et du détail décoratif, ce qui en fait une couleur mystérieuse et insaisissable, qui stimule l’imagination. D’où peut-être les connotations spirituelles et métaphysiques qu’on a coutume de lui associer. 🔮

Si le bleu est déjà rare dans la peinture classique, c’est encore plus vrai pour le violet. Il faut attendre le milieu du 19e siècle pour que les progrès de la science permettent enfin de contourner le problème de la rareté des pigments (et offrent une solution alternative au jus de chou rouge, de myrtille ou d’insecte).

Quand on pense que, dans l’Antiquité, il fallait littéralement écrabouiller 12 000 mollusques pour obtenir… 1 gramme de pourpre de Tyr, le seul violet digne de ce nom à l’époque.

Les pauvres murex étaient tellement persécutés que leur espèce a failli s’éteindre. Encore aujourd’hui, si tu veux du pigment de coquillage, il va falloir mettre la main au porte-monnaie. 💸 A l’heure où j’écris ces lignes, sur le site de vente de pigments Kremer, 1 gramme de pourpre de Tyr coûte près de 3000€. Les véganes diront que ça fait pas cher la vie de l’animal, mais quand même… ⊙﹏⊙∥

Toujours est-il que le violet est très tôt devenu la couleur attitrée des rois et des puissants de ce monde. Je me demande s’il y a un lien avec mon histoire de murex 🤔

Et si on repensait la classification de la psychologie des couleurs?

Le problème majeur avec la psychologie des couleurs

Voilà, en gros, les sens généraux que l’on associe aux couleurs.

Malheureusement, cette classification a un énorme défaut: elle laisse volontairement de côté le fait que les couleurs forment un spectre. 🌈

Il n’y a pas de rupture nette entre deux longueurs d’onde.

A quel moment quitte-t-on le rouge pour tomber dans le orange? Ou le orange dans le jaune?… 😖

A défaut de pouvoir fixer des catégories une bonne fois pour toutes, difficile de tirer une conclusion exploitable…

D’autant qu’en fonction de ses conditions d’apparition, une même couleur n’aura jamais strictement le même impact sur la/le spectatrice.teur. Même en passant outre le problème des dégradés de couleurs, on ne peut pas oublier que le sens des couleurs forme lui-même un spectre.

D’ailleurs, pendant qu’on y est, donnons-lui un petit nom: on a qu’à l’appeler « spectre sémantique ».

Mon répertoire des couleurs donne un aperçu du spectre sémantique couvert par chaque couleur. Mais, en réalité, je n’ai fait qu’en effleurer la surface. Rien qu’en combinant deux couleurs, et en changeant leur rôle affecté dans le contexte, on peut affecter radicalement le sens de chaque couleur. 😵

Pas terrible, comme base, pour une langue! ¯\(°_o)/¯

Je ne suis malheureusement pas en mesure de sortir une solution miracle de mon chapeau (d’autant que cet article commence à être un peu long). 👒

Par contre, j’aimerais au moins proposer une façon légèrement différente d’aborder la psychologie des couleurs. 👩‍🏫

Réconcilier la psychologie des couleurs avec la notion de spectre

Dans une langue verbale, le sens des concepts se définit par frottement à des concepts opposés.

Pour comprendre le sens du mot « petit », il faut avoir une notion de ce qu’est le « grand », et réciproquement.

De la même façon, la perception d’une couleur dépendra toujours du contexte dans laquelle on l’observe… à commencer par les couleurs qui la juxtaposent. 🧐

Afin, donc, que la psychologie des couleurs puisse jouer pleinement son rôle de grammaire de la langue des couleurs, je propose de définir le sens des couleurs par groupes constitués autour de paramètres objectifs plutôt que par unités indépendantes.

Disposer d’un nombre limité de « blocs de sens » aux contours relativement précis leur permet ainsi de se renforcer mutuellement.

(T’inquiète, je vais donner des exemples)

Couleurs chaudes VS couleurs froides

Les groupes de couleurs chaudes (rouge, orange, jaune) et de couleurs froides (vert, bleu, violet) sont porteurs de significations opposées prévisibles, moins sujettes aux fluctuations de l’environnement que les couleurs prises individuellement.

Le problème de la continuité du spectre des couleurs se pose toujours…

Mais en faisant la moyenne de la température des couleurs d’un même groupe, on peut au moins dégager une certaine intention. 🤒

Couleurs chaudes

Cet ensemble se réfère sans ambiguïté aux sources de chaleur et de lumière, ainsi qu’aux valeurs de confort, amitié, intimité, enracinement dans le sol et aux fonctions du corps (notamment l’absorbtion de nourriture). 🥂

Bref: la nature nous apprend à voir dans les couleurs chaudes une source de calories et de protection. De survie, quoi.

Une dominante de couleurs chaudes sera également perçue comme plus dynamique et ludique qu’une dominante de couleurs froides. 🍰

Couleurs froides

Cette harmonie évoque irrésistiblement les grandes surfaces inaccessibles (en particulier le côté bleu et violet du spectre). Par extension, ses connotations sont davantage orientées rêverie, mélancolie, et intellect. Une dominante de couleurs froides apparaîtra donc plus apaisante, introvertie et sérieuse qu’une dominante de couleurs chaudes. 🧊🧙‍♂️🌌

L’intensité des couleurs

La typologie que je souhaiterais proposer ici s’inspire de celle ébauchée par le professeur de design Richard Poulin dans son livre Les fondamentaux du design graphique.

Une dominante de couleurs lumineuses crée une atmosphère joyeuse, voire festive.

Lorsqu’elles sont saturées, elles attirent l’attention, et sont excitantes et dynamiques. Elles sous-entendent l’existence d’un message important à transmettre.

Par contre, lorsque les couleurs sont à la fois claires et désaturées, le calme et la réserve suggérées lui apportent une dimension d’introversion.

Du côté des couleurs sombres, les palettes apparaissent plus autoritaires et imposantes. Dans ce cas de figure, le ressenti est plus grave et sérieux, en particulier lorsque les couleurs sont désaturées.

D’ailleurs, de manière générale, les dominantes de couleurs rompues / désaturées apparaissent fonctionnelles, formelles et émotionnellement détachées.

A noter également que lorsque l’on aborde la psychologie des couleurs sous les angles de la valeur (luminosité) et de la vibrance (saturation), on touche à une dichotomie de sens ancrée dans l’inconscient collectif:

Celle qui oppose le monde de l’enfance au monde des adultes.

Couleurs d’enfants et couleurs d’adultes

C’est un fait appuyé par des études scientifiques [12]Children’s Emotional Associations with Colors: The Journal of Genetic Psychology: Vol 155, No 1. https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00221325.1994.9914760. Consulté le 28 mars 2022.:

Les enfants réagissent fortement et positivement aux couleurs primaires, vives et lumineuses. A contrario, ils boudent les couleurs plus fades, plus subtiles, comme les tons neutres : gris, bruns, beiges, etc.

Ce phénomène est vraisemblablement d’origine biologique:

La perception des couleurs d’un jeune enfant se limite en effet à des teintes franches et très voyantes[13]« How Do Bright Colors Appeal to Kids? » Sciencing, https://sciencing.com/do-bright-colors-appeal-kids-5476948.html. Consulté le 28 mars 2022.[14]« La vision de Bébé : comment un bébé voit-il vraiment ? » PARENTS.fr, 27 décembre 2007, https://www.parents.fr/bebe/sante/la-vision-de-bebe-78064.[15]« Comment les bébés voient-ils le monde de 0 à 1 an ? » Sciences et Avenir, 18 mars 2016, … Continue reading.

A mesure que l’on grandit et que notre perception visuelle s’affine, on découvre de nouvelles couleurs, et on apprend à les apprécier.

Cela explique peut-être que l’on ait plus de chances de rencontrer des couleurs vives dans une école maternelle que dans un grand bureau en open-space…

Les harmonies chromatiques des saisons

Chaque saison vient avec son lot de couleurs emblématiques, qui sont profondément gravées dans l’inconscient collectif.

Le printemps 🌷 est marqué par des palettes très claires et colorées, l’été 🍍 par des couleurs désaturées et délicates, l’automne 🌰 par des couleurs chaudes et plutôt sombres, et l’hiver 🍊 par des contrastes chromatiques durs et froids.

Pour des explications plus détaillées, je te renvoie à l’article que j’ai consacré à Colour Affects et les harmonies des saisons appliquées à l’identité des entreprises.

Les êtres vivants évoluent au rythme des saisons. L’être humain, malgré son vernis de culture, n’y échappe pas, et continue à se caler sur les contraintes saisonnières pour cultiver, jardiner et se vêtir.

La récurrence des saisons est un réservoir de sens inépuisable qui inspire toutes sortes de mythes et de métaphores intemporelles. ✨

Un bon exemple de ça, c’est le film Requiem for a Dream, qui raconte sur trois saisons la descente aux enfers de quatre personnages.

Etude de cas: la palette de couleurs du film Requiem for a Dream

Le film s’ouvre sur un été que les protagonistes vivent comme un printemps:

Ils s’enivrent de rêves qu’ils pensent être en train de se réaliser, sans savoir que les rêves en question seront les seuls fruits que produira jamais leur vie.

Le printemps, période d’éclosion, d’épanouissement et de concrétisation des projets, leur restera à jamais inaccessible. Leur « songe d’une nuit d’été » terminé, un bref automne, suivi d’un hiver éternel, les attend au réveil.

A défaut d’avoir pu faire éclore quoi que ce soit pendant qu’il en était encore temps, ils se retrouvent seuls et démunis face à leurs pires cauchemars. Tel est le sort réservé à celles et ceux qui croient trouver un raccourci au bonheur dans les paradis artificiels. Requiem pour un rêve, donc…

La palette de couleurs de Requiem for a dream évolue pour raconter la traversée des saisons et le quadruple drame humain qui l’accompagne.

Douce et onirique pendant l’été, elle évolue progressivement vers des couleurs plus sombres et saturées tandis que les personnages abordent l’automne de leur vie, avant de se fixer sur des contrastes agressifs à dominantes froides.

Prises séparément, les couleurs de ces trois scènes n’indiquent pas grand-chose.

Par contre, si on observe comment elles fonctionnent ensemble et par opposition aux autres (les dégradés rosés de la scène d’été VS les contrastes durs et glacés de la scène d’hiver…), on peut en tirer des conclusions intéressantes sur l’évolution de l’état psychologique et de la situation des personnages.

Conclusion

Voilà, à mon sens, une utilisation pertinente de la psychologie des couleurs. 🤓

Le spectre sémantique d’une couleur unique est particulièrement large. Aussi, il y a plein de raisons qui peuvent justifier le choix d’une couleur plutôt qu’une autre. Difficile de déduire quoi que ce soit de façon définitive à partir de cette seule information.

D’ailleurs, la probabilité que le choix d’une seule couleur soit dû à une simple question de goûts personnels plutôt qu’à une fine connaissance de la psychologie des couleurs n’est pas négligeable…

A contrario, une harmonie de couleurs génère son propre contexte, ce qui la rend moins sensible aux fluctuations environnementales. On peut donc en retirer davantage d’informations fiables sur lesquelles baser une analyse et construire notre propre sens.

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Bibliographie

Bibliographie
1 Casaponsa, Aina, et Panos Athanasopoulos. « The Way You See Colour Depends on What Language You Speak ». The Conversation, http://theconversation.com/the-way-you-see-colour-depends-on-what-language-you-speak-94833. Consulté le 26 mars 2022.
2 Chesneaux, Jean. « La tripartition du champ temporel comme fait de culture ». Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, no 3, 3, juin 2005. journals.openedition.org, https://doi.org/10.4000/temporalites.436.
3 Boroditsky, Lera. « La langue façonne la pensée ». Pourlascience.fr, Pour la Science, https://www.pourlascience.fr/sd/linguistique/la-langue-faconne-la-pensee-6479.php. Consulté le 28 mars 2022.
4 « Blanche-Neige – Noir, blanc, rouge ». Wikipédia, 21 mars 2022. Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Blanche-Neige#Noir,_blanc,_rouge.
5 LA SYMBOLIQUE – LA TRICHROMIE ANCESTRALE. https://www.enluminure-peinture.fr/techniques/la-symbolique/category/98-la-trichromie-ancestrale. Consulté le 28 mars 2022.
6 « Thanatos contre Eros ». Le Temps, 7 avril 2007. www.letemps.ch, https://www.letemps.ch/culture/thanatos-contre-eros.
7 Calvet, Catherine. « Michel Pastoureau : «Le jaune est la couleur des trompeurs mais aussi des trompés» ». Libération, https://www.liberation.fr/debats/2018/12/05/michel-pastoureau-le-jaune-est-la-couleur-des-trompeurs-mais-aussi-des-trompes_1696222/. Consulté le 28 mars 2022.
8 « Le jaune, histoire d’une couleur déchue ». France Culture, 4 décembre 2018, https://www.franceculture.fr/histoire/le-jaune-histoire-dune-couleur-dechue.
9 « L’histoire macabre du vert à base d’arsenic ». Amusidora, 21 mai 2020, https://www.amusidora.fr/histoire-couleur-verte-et-arsenic/.
10 Inter, France. Pourquoi le vert est-il tabou sur les scènes de théâtre ? 22 mars 2017, https://www.franceinter.fr/culture/pourquoi-le-vert-est-tabou-sur-les-scenes-des-theatres.
11 Besnard, Jacques. « Comment le bleu est devenu la couleur préférée des Occidentaux? » La Libre.be, https://www.lalibre.be/lifestyle/magazine/2015/02/15/comment-le-bleu-est-devenu-la-couleur-preferee-des-occidentaux-LTQJSFV42RA7PNHXEMSZU4DOEA/. Consulté le 28 mars 2022.
12 Children’s Emotional Associations with Colors: The Journal of Genetic Psychology: Vol 155, No 1. https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00221325.1994.9914760. Consulté le 28 mars 2022.
13 « How Do Bright Colors Appeal to Kids? » Sciencing, https://sciencing.com/do-bright-colors-appeal-kids-5476948.html. Consulté le 28 mars 2022.
14 « La vision de Bébé : comment un bébé voit-il vraiment ? » PARENTS.fr, 27 décembre 2007, https://www.parents.fr/bebe/sante/la-vision-de-bebe-78064.
15 « Comment les bébés voient-ils le monde de 0 à 1 an ? » Sciences et Avenir, 18 mars 2016, https://www.sciencesetavenir.fr/sante/ophtalmo/comment-les-bebes-voient-ils-le-monde-de-0-a-1-an_102334.
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